En tant que journaliste et analyste indépendante, j'ai souvent été confrontée à une difficulté récurrente et frustrante : comment enquêter sur un élu lorsque l'accès aux documents publics est restreint ? C'est une question qui revient régulièrement dans les mails que je reçois via Nevousindignezpas (https://www.nevousindignezpas.fr) et dans les discussions avec des collègues, des militants et des citoyens curieux. Voici un guide pratique, issu de mes enquêtes, de mes erreurs et de mes réussites, pour vous aider à avancer même quand les portes administratives semblent fermées.

Commencer par ce qui est public et accessible

La première tentation est souvent de lancer des demandes officielles. Avant de le faire, j'explore systématiquement :

  • Les sites institutionnels (mairies, conseils départementaux, régions) qui publient parfois des comptes-rendus, délibérations, marchés publics, et budgets.
  • Les plateformes d'open data : data.gouv.fr, et parfois les portails locaux. Même des extraits de marchés ou de données financières peuvent donner des pistes.
  • Les bulletins municipaux, procès-verbaux des conseils, comptes rendus de commissions qui, quand ils sont disponibles, sont riches en détails.
  • Les réseaux sociaux de l'élu et de ses collaborateurs : publications, photos, événements publics et calendrier peuvent révéler des rendez-vous ou des liens.

Ces éléments me servent de base factuelle — on y trouve des dates, des noms, des montants qui permettent de formuler des demandes précises par la suite.

Utiliser les demandes formelles : CADA et autres voies

En France, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) est une alliée quand l'administration refuse de communiquer un document. Avant d'y recourir, j'adresse toujours une demande écrite et motivée au service concerné (par lettre recommandée ou courriel) en précisant exactement les documents souhaités et la période couverte. Si la réponse est refusée ou si rien n'arrive dans un délai raisonnable, je saisis la CADA.

Deux remarques pratiques :

  • La CADA ne couvre pas tous les cas : certains documents peuvent être protégés par le secret partagé ou la vie privée. Il faut donc formuler la demande en ciblant ce qui relève bien de l'action publique.
  • Conserver toutes les traces (courriels, accusés de réception) est crucial : la procédure gagne en poids si l'on peut prouver la demande initiale.

Explorer les voies légales et contentieuses

Si la CADA donne un avis favorable et que l'administration ne s'exécute pas, il existe des recours devant le tribunal administratif. J'ai déclenché cette procédure à plusieurs reprises quand un refus persistait ; c'est long mais souvent efficace.

Autre option : la saisine collective. Travailler avec des associations (anticorruption, transparence locale) permet d'engager plus facilement une procédure, de partager les frais et de bénéficier d'une expertise juridique. Je recommande notamment de contacter des ONG comme Transparency International France ou des collectifs locaux spécialisés.

Aller sur le terrain : témoins, employés, prestataires

Quand les documents se font rares, l'information se trouve souvent dans les conversations. Je multiplie les rencontres :

  • Ancien·nes collaborateurs·rices, employés municipaux, prestataires de services (bureaux d'études, entreprises de BTP) : ils connaissent les pratiques et parfois des détails non officiels.
  • Habitant·es et associatifs qui ont suivi un dossier : ils apportent un angle local et des éléments factuels (dates, réunions, problèmes techniques).
  • Autres élu·es, parfois critiques ou en dissidence, qui peuvent confirmer des contradictions ou des usages.

J'insiste toujours sur la confidentialité et la sécurité des sources. Protéger un·e témoin peut signifier accepter de ne pas publier son nom ou de chiffrer ses propos.

Recueillir des preuves indirectes

Si un document direct n'est pas communiqué, il existe des preuves indirectes tout aussi convaincantes :

  • Factures et marchés publics publiés chez des fournisseurs ; parfois, les entreprises conservent des archives que l'on peut obtenir par d'autres demandes ou contacts.
  • Registres du commerce et bases légales (Infogreffe) pour vérifier des relations entre élus et sociétés.
  • Photographies, vidéos, captures d'écran de réseaux sociaux, qui permettent de retracer des déplacements et des rencontres.

Vérifier, recouper, sourcer

La règle d'or : chaque information doit être recoupée au moins deux fois. J'utilise :

  • Documents administratifs disponibles, pour confirmation.
  • Interviews indépendantes, pour valider les éléments de contexte.
  • Vérification des montants via des sources économiques (base SIRENE, bilan des entreprises).

Quand je publie, j'indique toujours mes sources et j'explique mes méthodes. La transparence renforce la crédibilité et protège légalement contre d'éventuelles accusations de diffamation.

Internet et outils numériques utiles

Plusieurs outils m'ont simplifié la vie :

  • Archive.org et les caches Google pour retrouver des pages supprimées.
  • Outils d'analyse des réseaux sociaux (CrowdTangle pour Facebook, TweetDeck pour Twitter/X) pour suivre la diffusion d'informations.
  • Google Maps et les métadonnées des photos pour recouper des lieux et des heures.
  • Services d'envoi sécurisé (ProtonMail) et de transfert chiffré (Signal, OnionShare) pour protéger mes sources.

Tenir compte des contraintes juridiques et éthiques

Enquêter sur un élu exige prudence et éthique. Voici ce que je respecte systématiquement :

  • Ne pas publier d'informations obtenues illégalement (piratage, violation de confidentialité).
  • Vérifier la protection de la vie privée : différencier ce qui relève de l'intérêt public et ce qui est purement privé.
  • Proposer le droit de réponse à la personne mise en cause et documenter les échanges.

Organiser l'enquête en étapes

Étape Action
1 Collecte documentaire publique et veille
2 Demandes officielles (CADA, mairie, préfecture)
3 Interviews terrain et recoupements
4 Saisine d'associations/juristes si besoin
5 Publication sourcée et accompagnée du droit de réponse

Enfin, je garde toujours à l'esprit que la patience et la persévérance paient. Certaines informations émergent après des mois de travail, parfois grâce à une simple lettre ou à la confiance d'un témoin. Si vous souhaitez que j'explore un cas précis ou que je publie une méthodologie plus ciblée pour une collectivité donnée, écrivez-moi via la page contact de Nevousindignezpas. Ensemble, on peut rendre plus lisible et accountable l'action publique.