Depuis des années, je m'intéresse à la manière dont nos sociétés organisent la solidarité internationale — et à la délicate relation entre les ONG et leurs donateurs. Récemment, une question revient sans cesse dans mes entretiens et mes lectures : pourquoi certaines ONG internationales perdent la confiance des donateurs ? J'ai voulu remonter aux causes multiples de cette défiance, confronter des faits publics, écouter des acteurs du secteur et proposer des pistes concrètes. Voici ce que j'ai retenu.

Des scandales publics qui pèsent longtemps

La première raison est évidente : quand des dysfonctionnements graves sont révélés au grand jour, la confiance s'effondre très vite. Les affaires de harcèlement et d'abus sexuels impliquant des personnels d'ONG en mission, comme celles rendues publiques chez Oxfam (2018) ou dans d'autres structures, ont eu un effet de choc. De même, des enquêtes journalistiques sur la mauvaise gestion de fonds lors de catastrophes — où des promesses de dons massifs se sont heurtées à des résultats décevants sur le terrain — alimentent l'idée que l'argent des donateurs n'atteint pas toujours ceux qui en ont le plus besoin.

Ces révélations sont d'autant plus lourdes qu'elles touchent à l'éthique : les ONG sont perçues comme des gardiennes de la solidarité. Quand elles trahissent cette image, la désillusion est profonde.

Opacité et communication désynchronisée

Beaucoup de donateurs me disent se sentir « ignorés » : ils ne reçoivent pas d'informations régulières ou compréhensibles sur l'usage de leurs dons. Certaines ONG publient pourtant des rapports annuels volumineux, mais le rendu n'est pas toujours accessible — trop technique, trop institutionnel, trop centré sur l'organisation elle-même.

Parallèlement, d'autres organismes publient des récits très marketing, avec des images choc et des slogans qui suscitent l'émotion mais peu d'informations vérifiables sur l'impact réel. Ce décalage entre communication émotionnelle et reporting factuel nourrit le scepticisme.

Dérive institutionnelle et « mission drift »

La tentation du mission drift est réelle : pour survivre ou grandir, certaines ONG diversifient leurs activités (formation, consultance aux bailleurs, projets de développement très techniques) au détriment de leur cœur de mission. Cela peut sembler pragmatique, mais pour les donateurs individuels qui ont donné pour une cause précise — secours d'urgence, santé, éducation — la sensation d'un détournement est forte.

Coûts de fonctionnement et mythe des frais généraux

Il existe un biais persistant chez beaucoup de contributeurs : l'idée que les frais de fonctionnement sont un « gaspillage ». Pourtant, une ONG efficace a besoin d'équipes qualifiées, de logistique, de dépenses informatiques et de coordination. Quand des communications publiques évitent d'expliquer ces besoins, elles laissent place aux rumeurs. En revanche, des organisations comme Médecins Sans Frontières ont réussi à expliquer la logique de leurs coûts opérationnels — ce qui renforce la confiance.

Politisation et affiliations

Une ONG perçue comme proche d'un parti politique, d'un gouvernement ou d'un lobby risque de perdre les donateurs qui veulent une action indépendante. La crédibilité repose beaucoup sur l'impartialité, surtout dans les contextes de conflit. Lorsqu'une association est accusée de biais ou de double langage, la défiance se diffuse rapidement, y compris au sein des grands bailleurs.

La concurrence des modèles alternatifs

La montée de modèles comme GiveDirectly (transferts d'argent directs) ou les initiatives de financement participatif sectorisé a changé la donne. Beaucoup de donateurs apprécient la simplicité et la traçabilité de verser directement à des familles ou à des projets locaux, sans passer par une grande structure internationale. Quand ces alternatives affichent des tableaux d'impact clairs et des coûts faibles, elles attirent des donateurs qui auraient auparavant financé des ONG traditionnelles.

Fatigue du don et multiplication des sollicitations

La fréquence croissante des appels aux dons — catastrophes répétées, crises prolongées, campagnes omniprésentes sur les réseaux sociaux — engendre une fatigue. Les donateurs se recentrent alors sur quelques organisations de confiance ou réduisent globalement leur générosité. Une ONG qui multiplie les campagnes agressives sans expliquer l'usage des fonds perdra du terrain.

Technologie, transparence et preuves d'impact

Aujourd'hui, les donateurs exigent des preuves d'impact plus directes et mesurables. Les dashboards interactifs, les cartes de dépenses et les évaluations indépendantes deviennent la norme. Les ONG qui n'investissent pas dans ces outils passent pour archaïques ou peu fiables. À l'inverse, des acteurs comme charity: water, qui publient des suivis terrain et des photos géolocalisées de projets, montrent qu'une communication transparente peut renforcer durablement la confiance.

La responsabilité et la redevabilité aux bénéficiaires

Un facteur trop souvent oublié : la manière dont une ONG rend des comptes aux personnes qu'elle prétend aider. Les mécanismes de plainte, la participation des communautés aux décisions et la restitution des résultats sont essentiels. Les donateurs sont de plus en plus sensibles à ces indicateurs de qualité : il ne suffit plus d'aider, il faut le faire avec les bénéficiaires.

Exemples concrets et leçons tirées

Sans citer tous les dossiers, on observe des tendances :

  • Les ONG qui ont été transparentes dès le début d'une crise et qui ont produit des audits externes ont récupéré plus vite la confiance.
  • Celles qui ont investi dans des outils de suivi en temps réel ont montré un meilleur retour sur donation, et souvent vu leurs donateurs renouveler leurs engagements.
  • Les structures ayant des politiques claires sur la gestion des conflits d'intérêts et des comportements des employés limitent fortement les risques réputationnels.
  • Que demander à votre ONG avant de donner ?

    Pour celles et ceux qui veulent soutenir une cause tout en minimisant le risque de déception, voici les questions concrètes que je pose — et que j'invite les lecteurs à poser :

  • Qui gouverne l'ONG et quelles sont les politiques de transparence et d'audit ?
  • Quels sont les ratios entre frais opérationnels et dépenses directes, et comment sont-ils expliqués ?
  • Existe-t-il un rapport d'impact récent, indépendant et compréhensible ?
  • Comment l'ONG implique-t-elle les bénéficiaires dans la conception et l'évaluation des projets ?
  • Quelles sont les procédures en cas d'abus ou de mauvaise gestion, et y a-t-il des comptes rendus publics après enquêtes ?
  • Vers une philanthropie plus exigeante et plus lucide

    Je constate une évolution positive : les donateurs sont devenus plus exigeants mais aussi plus informés. Ils veulent des preuves, de la transparence et une relation de confiance basée sur la vérité des résultats, pas seulement sur l'émotion. Les ONG qui sauront combiner professionnalisme, ouverture et humilité pourront regagner ou consolider cette confiance.

    ProblèmeRemède
    Scandales et abusProcédures internes claires, audits externes, transparence des enquêtes
    Opacité financièreTableaux de dépenses accessibles, dashboards en ligne, rapports synthétiques
    Manque d'impact visibleIndicateurs mesurables, évaluations indépendantes, témoignages locaux
    Perception de politisationCharte d'indépendance, ségrégation des activités militantes et humanitaires

    Je continue d'observer et d'enquêter : la relation entre donateurs et ONG évolue, et il est sain qu'elle soit interrogée. Si vous avez des expériences personnelles — bonnes ou mauvaises — avec une ONG internationale, écrivez‑moi via la page contact du site. C'est en partageant ces retours que nous pourrons, collectivement, pousser les organisations à plus de rigueur et de responsabilité.