Comme beaucoup de collègues, j'observe depuis quelques années une mutation profonde du métier de journaliste sous l'effet de l'intelligence artificielle (IA). Loin d'être un simple gadget technologique, l'IA remodèle déjà nos pratiques quotidiennes — de la collecte de l'information à la distribution des articles — et pose des questions professionnelles, éthiques et citoyennes auxquelles nous devons répondre sans céder ni à la panique ni à l'angélisme.
Des outils qui accélèrent le travail de terrain et de bureau
Sur le terrain, je vois l'IA à l'œuvre dans des tâches très concrètes. Les applications de retranscription automatique, comme Otter.ai ou les fonctionnalités de reconnaissance vocale intégrées à certains smartphones, m'ont permis de gagner un temps précieux. À la place de taper frénétiquement des notes, j'enregistre, je laisse l'algorithme transcrire, puis je corrige. Même processus pour les interviews longues : la recherche de citations pertinentes devient plus rapide.
Dans la rédaction, les assistants de rédaction — de Grammarly à des modules intégrés aux CMS, sans oublier ChatGPT d'OpenAI ou Bard de Google — aident à reformuler, vérifier la syntaxe, suggérer des angles ou résumer des rapports interminables. Pour ma part, j'utilise ces outils comme des « bêta-lecteurs » : ils accélèrent la mise en forme initiale, mais je garde la main sur la vérification des faits et le choix éditorial.
Vérification des faits et détection des manipulations
Un des apports les plus importants de l'IA est sans doute la capacité à traiter des volumes massifs de données. Les systèmes d'analyse automatisée permettent de trier des bases de données publiques, de détecter des anomalies comptables ou de recouper rapidement des déclarations politiques avec des sources originales. J'ai ainsi pu, lors d'une enquête sur des subventions locales, automatiser la recherche dans des fichiers PDF et repérer des incohérences que l'œil humain aurait mis des jours à trouver.
À l'inverse, l'arrivée des deepfakes et des textes générés par des modèles comme GPT fait peser un nouveau risque : la falsification. Les rédactions se dotent d'outils de détection (ex. : logiciels d'analyse d'image, watermarking, outils d'authentification) et de protocoles renforcés : sourçage multiple, demande de preuves originales, transparence sur les méthodes. Pour moi, la règle est simple : un contenu douteux n'entre pas dans un article sans vérification indépendante.
Réinvention des formats et personnalisation
L'IA favorise aussi l'expérimentation de formats. Les algorithmes de recommandation permettent de proposer à chaque lecteur des parcours de lecture adaptés — dossiers approfondis pour certains, infographies et résumés vidéo pour d'autres. J'ai participé à des projets où un article long était automatiquement découpé en « micro-articles » ou en bullet points pour les publics pressés, tout en restant disponible dans sa version complète.
Cela pose la question du rôle de l'éditeur : faut-il céder à la logique du clic et laisser l'IA maximiser l'engagement au détriment de la qualité ? À Nevousindignezpas, nous privilégions la pluralité des formats mais refusons les raccourcis sensationnalistes. L'IA est un outil au service de notre ligne éditoriale, pas l'inverse.
Menaces sur l'emploi et évolution des compétences
Une question fréquente : l'IA va-t-elle remplacer les journalistes ? La réponse que je donne aux jeunes recrutés est nuancée. Certaines tâches répétitives (rédaction de brèves économiques standardisées, compilation de résultats sportifs, génération de rapports météo) sont déjà automatisées. Mais la valeur ajoutée humaine — l'enquête de terrain, l'analyse critique, le sens éthique, la mise en contexte — reste difficile à déléguer entièrement.
En pratique, le profil recherché évolue : savoir interroger des modèles d'IA, vérifier leurs sorties, programmer des requêtes précises, et surtout conserver un esprit critique. Les compétences en datajournalisme, en sécurité numérique, en fact-checking et en mise en récit multimédia deviennent des atouts majeurs. Pour ma part, j'ai suivi des formations en traitement de données et en éthique de l'IA pour accompagner ces transformations.
Transparence et éthique : règles à écrire
L'adoption de l'IA impose des règles déontologiques. Qui signe un article rédigé partiellement par une IA ? Doit-on mentionner l'usage d'outils automatisés pour la recherche ou la mise en forme ? J'estime qu'il faut informer les lecteurs : la transparence renforce la confiance. Certains médias commencent à afficher des mentions « article aidé par une IA » ou à documenter les étapes de vérification.
Autre enjeu : les biais algorithmiques. Si les modèles sont entraînés sur des corpus biaisés, ils reproduisent et amplifient des stéréotypes. En tant que journaliste, je me dois de questionner la représentativité des sources utilisées par les IA et de diversifier mes vérifications. L'audit des algorithmes et la pluralité des sources sont essentiels.
Mon quotidien transformé : exemples concrets
Je partage deux petites anecdotes personnelles :
Mon rapport aux plateformes et à la monétisation
Les plateformes numériques utilisent l'IA pour distribuer le contenu, ce qui influence notre visibilité et nos revenus. Comprendre les algorithmes de Meta, Google ou X (anciennement Twitter) est devenu stratégique : un bon référencement SEO implique désormais de maîtriser des formats agréés par ces systèmes. En parallèle, l'IA offre des opportunités de monétisation : newsletters personnalisées, recommandations payantes, podcasts optimisés.
Pour Nevousindignezpas, cela signifie trouver un équilibre entre visibilité et autonomie éditoriale : diversifier les sources de revenus (abonnements, conférences, partenariats éthiques) pour ne pas être dépendant d'une seule plateforme qui dicterait nos contenus via ses algorithmes.
Ce que j'explique aux lecteurs qui s'inquiètent
Aux lecteurs qui me demandent : « Dois-je craindre la désinformation générée par l'IA ? », je réponds honnêtement. Oui, l'IA facilite la création de contenus trompeurs, mais elle fournit aussi les outils pour les combattre. L'éducation aux médias devient cruciale : apprendre à vérifier une source, reconnaître un deepfake, demander la preuve documentaire.
Je les invite souvent à suivre quelques gestes simples : vérifier la source originelle, croiser les informations, se méfier des captures d'écran isolées, et privilégier les médias qui exposent leurs méthodes. Notre responsabilité collective est d'exiger transparence et qualité.
Quelques recommandations pratiques pour les journalistes
Le paysage est en pleine transformation. L'IA n'est ni ange ni démon ; elle est un accélérateur. À nous, journalistes, d'en faire un levier pour renforcer la qualité de l'information, tout en protégeant notre indépendance et notre rôle de passeurs de sens. Si vous avez des questions précises sur des outils, des méthodes ou des projets, n'hésitez pas à me contacter via la page du site Nevousindignezpas — je suis toujours prête à partager des retours pratiques et à écouter vos préoccupations.